SYMPHONIE DES ABEILLES

Et si je mourrais aujourd’hui…

Que verrais-je avant de partir ?

Je verrais…

un olivier magnifique aux branches tordues

par des décennies à grandir dans les chaleurs torrides,

à chercher le meilleur chemin pour son accomplissement.

Je verrais…

une harmonie de montagnes et de vallées,

jouant les unes avec les autres,

étalant leurs couleurs et partageant leur humeurs

pour créer un paysage féérique et mystique.

Je verrais…

les brumes annonciatrices du soir,

envahir avec grâce le terrain de jeu des hauts sommets ;

et la vallée disparaître dans leurs bras enchanteurs.

 Je verrais…

des milliers de fleurs sauvages,

stimulantes créatures pour  les cônes de l’œil,

provocatrices de l’artiste, nous invitant à l’immortalité.

 Je verrais…

un ciel rempli d’oiseaux rares dansant aux grands vents

la valse des survivants,

ignorant que la trêve est éphémère, heureux innocents.

Je verrais…

des anges dans le ciel,

étendre leurs ailes filamenteuses

et m’émouvoir de leur beauté intouchée

par les missiles volants crevant leurs entrailles.

Et si je mourrais aujourd’hui,

qu’entendrais-je avant de partir ?

J’entendrais la symphonie des abeilles,

qui par milliers m’offrent leurs génies

et nourrissent mes espoirs d’éternité

pour la terre et ses habitants.

J’entendrais le vent, les soirs de fête,

comme un voleur, venir chatouiller l’intrigue,

semer sur la vallée, un air de mystère,

narguer ma capacité

à accepter ce que je ne connais pas encore.

J’entendrais le silence,

paré de ses milliards d’étoiles,

bercer mes rêves d’immobilité attentive,

invitant mes cellules à la pure présence

à chaque jour renouvelé.

Et si je mourrais aujourd’hui,

que sentirais-je avant de partir ?

Je sentirais l’orange, le citron et le fenouil sauvage.

J’humerais les effluves du bon vin,

les parfums du pain frais,

les arômes des bois de pin, d’oliviers, de peupliers,

qui chaque soir brûlent à nos plaisirs

et réchauffent nos corps engourdis d’avoir travaillé la terre.

Je sentirais les herbes sauvages,

prêtes à diffuser leur succulence,

généreuses bienfaitrices,

mécènes de mon épanouissement corporel.

Et si je mourrais aujourd’hui,

que toucherais-je avant de partir ?

Je toucherais la liberté.

Je toucherais la luminosité d’une terre sauvage.

Je toucherais le sol argileux d’une Sicile ancestrale.

Je toucherais le paradis sur Terre,

l’âme sœur qui m’a attirée vers son cœur.

Je toucherais le vrai, le beau, le pur,

l’amour du moment présent,

l’authenticité simple d’une harmonie consciente.

Je toucherais l’importance de chaque seconde,

à servir le jour, à embrasser la nuit,

à me renouveler chaque matin.

Si je mourrais aujourd’hui,

que dirais-je avant de partir ?

Je dirais ma gratitude,

pour cette expérience terrestre,

et ce temps de refoulement de l’humain,

qui lui permet enfin de contempler

et de renouer avec la magnificence de la Mère-Terre.

Je dirais soyons attentifs,

et n’oublions pas, le moment venu, 

lorsque le silence perdra sa prestance,

lorsque le mouvement de l’humain

reprendra sa folle cadence,

que l’envahisseur n’est vainqueur que le temps d’une paix ;

que les empires s’effondrent toujours.

Et ainsi devons-nous apprendre de ce temps d’arrêt,

et poursuivre en faisant un choix collectif et humain,

de mieux voir,

de mieux écouter,

de mieux sentir,

de mieux toucher,

de mieux dire.

Si je mourrais aujourd’hui,

je serais honorée

d’avoir marché sur cette terre d’accueil

qui m’a prise dans ses bras et m’a tant appris

par sa simple et immense générosité.

Je l’ai vue,

je l’ai écoutée,

je l’ai sentie,

je l’ai touchée,

et aujourd’hui, je l’ai racontée.

Si je mourrais aujourd’hui,

je serais heureuse

et n’aurais qu’un regret,

de n’avoir pu, avant de partir,

embrasser ceux que j’aime.

Mais je crois qu’un cœur joyeux,

peut traverser des océans

et, porté par les grands vents,

rayonner son amour,

même en temps de confinement.

Lyne Castonguay

Chiaramonte Gulfi, Sicile, Italie

3 avril 2020

Lyne Castonguay